Tous les matins, j'arrive au bureau et je croise un de mes collègues qui arrive à peu près à la même heure que moi...
On se fait une bise de bonjour et je le respire, discrètement.
Je n'ai pas envie qu'il me voit le sniffer, je n'ai pas envie de le mettre mal à l'aise.
Tous les matins, j'ai une bouffée d'amour et de nostalgie.
Pas pour lui.
Pour celui qui, il y a si longtemps portait le même parfum, reconnaissable entre mille.
Tous les matins, je pense à lui après une bise de bonjour.
Il portait ce parfum comme un étendard, comme sa différence des autres de son âge, plus portés sur des senteurs moins typées, plus passe-partout, des odeurs fraîches d'après-rasage de jeune homme, sans aspérité.
Lui avait choisi cet odeur épicée, tellement différente.
Tous les matins, respirer ce parfum me bascule des années en arrière. Je me dis que personne d'autre que lui ne devrait avoir le droit de le porter, je me dis que c'était sa marque, sa signature.
Les évocations provoquées par les odeurs sont puissantes, les empreintes laissées par les odeurs sont souvent inaltérables et ont la faculté de te faire revenir dans le temps avec une précision incroyable : l'époque, l'atmosphère, les personnes présentes, parfois même les vêtements portés. Tout te revient dans la figure avec joie, ferveur, émotion ou tristesse. Tout te revient d'un coup. Certains jours, c'est gai. Certains jours, c'est une grande gifle.
Tous les matins, tout me revient. Son sourire, sa présence, ce parfum différent.
Je prends une bouffée de son parfum, elle m'accompagne jusqu'en haut de l'escalier. Je souris. Puis la vie reprend son cours.
Cela fait 23 ans qu'il est parti, que la vie a repris ses droits et pourtant, une simple bise de matin me confirme tous les jours à quel point il me manque.