Je suis une fille à crayon de papier.
Je n'utilise que des vrais crayons de papier (ou des crayons de bois comme on dit peut-être chez toi ?), je les taille consciencieusement avec un taille-crayon bien au-dessus de ma poubelle en essayant de faire de beaux copeaux bien réguliers.... Alors y'a sûrement une thèse psy qui lie ça au temps qui passe ou à la rupture de cordon ombilical avec la mère mais la vérité, c'est que j'aime tailler. Et surtout, je déteste les critériums ou autres porte-mines.
J'ai toujours écrit en appuyant fort sur mon crayon, autant dire que les petites mines fragiles pètent de peur. Les p'tits porte-mines jetables qu'on te donne au Novotel quand tu es en réunion, en dehors du fait qu'ils sont parfois violets donc jolis, je déteste.
Sur un porte-mine, la mine est toujours soit trop courte (super, au bout de douze mots, tu écris avec le plastique).
Soit trop longue donc.... elle pète parce qu'elle ne supporte pas la pression la pauvre chérie.
Clic-clic-clic-clic-clic, tu appuies comme une forcenée pour faire descendre la fucking mine en surveillant l'orifice comme s'il allait cracher les numéros gagnants du Loto. Du coup, tu as loupé des trucs à noter alors tu écris vite et voilàààààà, ça repète. Ou alors clic-clic-clic-clic-clic-clic-clic-clic-clic, tu appuies et....rien. Y'a plus de mine et tu l'as pas vu venir ! Alors que le crayon de papier, tu le vois s'user tranquillou et tu as le temps d'anticiper la fin. Victoire !
Quand j'étais petite, ma mère, ma soeur et moi allions parfois le dimanche rendre visite à mon père sur la base alors qu'il était de garde (d'astreinte, on dit il me semble. Quoique ça devait être encore un autre mot mais il ne me revient pas). C'était sûrement un peu interdit et j'en garde un souvenir de transgression terrible. Surtout que sur place, on avait le droit de faire deux choses INCROYABLES.
Tourner la machine à stencils qui sentait l'alcool un peu citronné et qui crachait des feuilles humides qu'on posait soigneusement sur le bureau pour qu'elles sèchent un peu.
Tourner le taille-crayon à manivelle fixé sur le coin du bureau. On taillait les crayons de tous le bureau et même de celui d'à côté.... Le bonheur.
Pourtant plus tard, j'ai failli basculer. Au collège en cours de biologie, on devait régulièrement procéder à ce que je détestais presque le plus, à savoir le dessin d'un végétal d'après nature. Par exemple, dessinons une fougère en gros plan.
Super.
Déjà, dessiner une feuille de fougère sur l'envers et sur l'endroit, c'est pas ce qu'il y a de plus excitant. Quand en plus tu n'es pas particulièrement douée pour le dessin, que le résultat ressemble plus à une amibe australe qu'à une plante verte et que cerise sur le pompon, l'annotation du prof t'achève avec un "éviter de dessiner avec un pieu, il existe outils plus propices à la précision", j'aime autant te dire que tu es prête à jeter ton crayon au feu.
Il faut une sacrée dose de courage pour continuer à clamer sa différence et préférer le crayon de papier. Je crois que ça a dû être ma plus grosse rébellion à cette époque. Au moins en cours de biologie.
Sauf qu'on ne sacrifie pas un amour si profondément ancré pour une fougère loupée.
Moi, je suis une fille taille-crayon, j'adore tailler.
(oui, je sais)
(ouiiiiii, je sais, c'est bon j'te diiiiis)
(en plus c'est vrai)
Hier chez Cultura, je me suis offert un joli crayon de papier en solde pour la modique somme de 0.35 €. En arrivant au bureau, je l'ai taillé avec amour...
Lui et moi, ça va durer....