Hier, en me réveillant, j'ai attrapé mon téléphone comme chaque matin pour checker la météo et décider ainsi de ma tenue de la journée. J'y ai instantanément pensé, pour la première fois depuis tellement longtemps.
Depuis de très nombreuses années, les méandres de mon cerveau me faisaient zapper la date. Sauf hier.
Au début et pendant plusieurs années, on avait décidé de faire quelque chose de spécial ce jour-là, comme tout le monde le fait ou comme on se sent obligés de le faire (pression sociale, familiale, poids des traditions). Un dîner au restaurant, on se faisait beaux, avec au-dessus de nos têtes la contrainte de passer une super soirée puisque c'était, en principe, un moment heureux. Moi j'aurais voulu qu'il semble amoureux et heureux, que pour une fois, il puisse un peu montrer des signes de tendresse. C'était l'inverse. Il a toujours adoré faire le contraire de ce qu'on attend de lui, comme une sorte de rébellion d'adolescent sur le retour.
Le bonheur contraint et forcé par le calendrier n'y trouve pas son compte. La soirée finissait régulièrement par des larmes arrosées de champagne, de l'aigreur, de la colère, de la rancœur, le tout mi-cuit avec son bouillon clair au jus de tourteau. Comme si se retrouver en tête à tête justement ce jour-là catalysait nos différences.
Alors une année, peut-être au bout de 5 ans, j'ai dit stop. Pas question de continuer à s'imposer d'être heureux ce soir-là. Pas question de fêter quoi que ce soit si c'était pour que le lendemain, la peau de mes joues pique à force d'avoir été baignée de larmes salées.
On a cessé d'y penser et surtout cesser de se l'imposer. Régulièrement, j'oubliais la date. Ce n'est qu'un texto de Maman dans le courant de la journée qui me la rappelait. J'envoyais un petit "Merci !" et répondait "Non, on ne fêtera rien ce soir, peut-être dans le courant de l'été".
Hier, en me réveillant, j'y ai pourtant pensé toute de suite.
Hier, c'était mon anniversaire de mariage. 19 ans. Je lisais justement le billet de Caro sur ses noces de laine et j'ai regardé par curiosité sur Wikipédia à quoi correspond ce nombre d'années. Noces de cretonne.
"La cretonne est un tissu assez fort, constitué de fils de chanvre, de lin ou de coton, principalement employé pour l'ameublement". Ok. Super.
Hier, j'ai pensé à mon mariage. A cette union que j'ai décidé de rompre parce que je n'en pouvais plus de m'oublier dans cette relation, de subir, de regretter, de vivre à moitié en me disant chaque jour "Mais c'est pas ça ma vie". Bientôt, cela fera un an que je lui ai annoncé ma volonté de partir, c'était quelques jours après le dix-huitième anniversaire.
C'est long, une séparation. Aujourd'hui je vis ailleurs, nos chemins sont différents mais encore tellement mêlés par un fil fort de chanvre, de lin ou de coton et qui s'appelle Crapaud-poilu. Nos vies sont encore mêlées puisque je suis encore mariée. J'ai hâte de pouvoir rompre ce lien-là qui me pèse et qui m'empêche malgré tout de vivre ma vie comme je l'entends.
Je ne sais pas si lui y a pensé.
Je ne sais pas si Crapaud-poilu y a pensé.
Je ne sais pas si ma mère y a pensé et si elle a dû se réfréner pour un envoyer un texto... Et pour y dire quoi ? Sincères condoléances ?
Officiellement, juridiquement, je suis mariée depuis dix-neuf ans et un jour.
Officiellement, mais pas juridiquement, je suis séparée, bien plus heureuse qu'il y a un an, deux ans, cinq ans. Bien plus heureuse que toutes ces années à ne pas vouloir fêter un anniversaire de mariage sous peine de pleurer à la fin de la soirée.
Et puis la cretonne, franchement... Pourquoi pas de la toile de jute pendant qu'on y est ?