Donc nous en étions au marchandage...
Pour que tu comprennes d'où je pars, je vais te relater une brève anecdote qui fait encore le bonheur de certaines soirées familiales. Lorsque j'avais à peu près 15 ans, mes grands-parents nous ont emmenées, ma soeur et moi, faire un super voyage en Egypte. Croisière le Nil, temples, hiéroglyphes, spectacle son et lumière devant les pyramides et tout et tout. Un merveilleux souvenir.
Un jour, en excursion, nous voilà face à une sorte de boutique, en réalité une tente où sont entreposés des souvenirs à touristes. Mon porte-monnaie est plein d'argent de poche, justement destiné à me fournir en souvenirs divers et variés. Je tombe en amour devant une sorte de pierre lisse et noire avec un scorpion fossilisé sur le dessus, de la taille d'un sous-bock.
Je sais qu'il faut marchander mais je ne suis pas très à l'aise avec la pratique. Au bout de quelques minutes, je reviens fièrement avec ma caillasse... payée une fortune.
Je ne sais plus vraiment le montant, mais c'était aux alentours de 100 F. Au bas mot.
Mon père a gloussé lorsque je lui ai montré l'objet au retour et ma réputation de négociatrice-to-be fut bien établie.
Vingt-quatre ans plus tard, à Djerba.
Avec les grenouilles, on a été plein de fois se balader dans les souks. Non pas qu'on avait franchement grand chose d'indispensable à rapporter, ni plus ni moins que quand on va faire un "tour en ville"à La Rochelle. Le premier soir à Midoun, je craque pour un délicieux plat carré en mosaïque. Le vendeur me prend par la main, me demande mon prénom, lui, il s'appelle Djibril. Il me dit que j'ai des yeux magnifiques, me dit "je vais te faire un bon prix, parce que tes yeux sont magnifiques".
Il prend un morceau de journal et tout en écrivant, m'explique "là, je vais écrire un prix fantaisie, un prix d'américain mais tu sais que je ne vais pas te faire ce prix-là". Il écrit 65 dinars (environ 30 €).
Même pas en rêve.
Je rigole, je dis que non, c'est pas possible, tu plaisantes ?
Le jeu consiste à écrire chacun son prix. Les filles me surveillent d'un oeil torve en me disant que je vais me faire arnaquer, que c'est le premier soir, qu'on ferait mieux de revenir demain.
Oui, mais je le trouve joli ce plat et puis c'est le seul de cette couleur...
J'écris 25 dinars. Il me regarde comme si je lui avais planté un couteau dans le coeur, fait mille contorsions, écrit encore un prix, encore un autre, je reste ferme car le souvenir de mon passé me hante encore. Je ne payerai pas plus. C'est dit.
J'emporte le marché.
Sauf que les filles m'ont dit que ça n'en valait pas plus que 20. Ok, on va pas chipoter pour deux euros non plus.
Le pire s'est produit à Houmt Souk. Un grand marché, gigantesque dans une ville charmante faite de petites ruelles, de murs blancs éclatants et de boiseries bleu roi. Je trouve l'endroit très joli. On s'arrête boire un café sur une terrasse ombragée, on est bien.
Un type tenant une petite boutique vient nous chercher pour nous proposer des épices, de l'eau de rose, de l'huile de figue de barbarie. J'achète. Trop cher sûrement mais je suis contente tout de même. Il nous emmène alors chez un voisin (il doit toucher sa com au passage, je suppose) et là, c'est le drame.
Je cherche à trouver des foutas. Ce sont des sortes de grandes serviettes de coton frangé que l'on utilise comme serviette de plage, plaid, couverture, couvre-lit. Il y en a plein dans la grande maison et j'aime beaucoup. Je veux en rapporter deux. Je cherche aussi un tee-shirt Ralph Lauren pour Crapaud-poilu. Un vrai bien sûr, pas une contrefaçon, évidemment. Plus une paire de boucles d'oreilles en plastique mais très jolies. Le vendeur m'a senti venir, ils nous ont toutes senti venir.
Première technique : nous séparer. Chacune son vendeur, chacune dans un coin du magasin pour qu'aucune n'entende le prix fait à l'autre.
Deuxième technique : le prix d'américain, encore et toujours. Il m'annonce 265 dinars. 130 euros !! Pour deux nappes et un faux tee-shirt.
Je m'étouffe et je dis "nan, je m'en vais, tu te moques de moi".
Troisième technique : te prendre gentiment par la main et te demander ton prix. J'annonce 60 dinars. 20 dinars la fouta (Karine m'avait dit que c'était 15 le max), 20 dinars le tee-shirt, ce qui est hors de prix, j'ai dû me gourer dans la conversion.
C'est lui qui s'étouffe et qui m'explique que non, je peux pas dire ça, que je me moque de lui. Le jeu continue.
Quatrième technique : le regard larmoyant et te faire un bisou "parce que tu es jolie". C'est là, je crois que c'est là que j'ai dû lâcher l'affaire. Ça et les copines qui avait déjà terminé.
J'ai lâché 100 dinars. Presque 50 euros.
M.-la-Catalane, grande-chef-marchandeuse, a obtenu ses deux foutas pour 25 dinars. Nan, c'est pour que tu vois l'écart.
A prix d'or.... En vrai, je viens de les laver et elles ne sont pas encore repassées ;-) |
Je me sens complètement couillonne. Je sais que je n'aurais pas dû céder. Je sais que j'ai payé beaucoup trop. Le problème n'est pas tant l'argent que la sensation d'être vraiment une poire. Jolie, peut-être, mais une poire quand même.
Je suis nulle, je dis que NON, je n'achèterai plus rien.
J'ai presque tenu bon.
Le marchandage, c'est un état d'esprit. La négociation, c'est une façon d'être, y'a des gens qui savent faire et d'autres non. Comme pour négocier une augmentation, moi, j'ai toujours l'impression d'être un imposteur donc je suis pas crédible...
Après, quand chacun a la sensation d'avoir fait une bonne affaire, y'a pas de problème. C'était le cas pour le plat en mosaïque. Mais les foutas m'ont laissé un goût amer, même si je le trouve très jolies.
Tu crois qu'il y a des Américains qui payent le prix cash à Djerba, pour de vrai ?